Oeuvres de Dino Buzzati - tome 2 - Bouquins
Format BrochéAuteur : Dino Buzzati
Description
26 OCTOBRE 1957. Écris, je t'en prie, deux lignes seulement, même si tu es bouleversé et que tes nerfs ne tiennent plus. Mais chaque jour. En serrant les dents, à la rigueur même des imbécillités sans aucun sens, mais écris. Écrire est une de nos illusions les plus ridicules et pathétiques. Nous croyons faire une chose importante en traçant des lignes contournées, noires, sur le papier blanc. Mais quoi qu'il en soit, c'est là ton métier, tu ne l'as pas choisi mais il t'a été donné par le Destin, lui seul est l'issue par laquelle, si c'est possible, tu pourras t'échapper. Écris, écris. À la fin, parmi des tonnes et des tonnes de papier bon à jeter, une ligne pourra être sauvée. (Peut-être.)
En ce moment précis (1963)
LA TOUR EIFFEL
C'était le bon temps quand je travaillais à la construction de la tour Eiffel. Et je ne savais pas que j'étais heureux.
La construction de la tour Eiffel fut une chose grandiose et très belle. Aujourd'hui vous ne pouvez plus vous en rendre compte. La tour Eiffel telle qu'elle est désormais n'a plus grand-chose de commun avec ce qu'elle était alors. À commencer par les dimensions. Elle s'est comme rétrécie. Moi, quand je passe dessous, je lève les yeux et je regarde. Mais j'ai de la peine à reconnaître le monde où j'ai vécu les plus beaux jours de ma vie. Les touristes entrent dans l'ascenseur, montent à la première plate-forme, montent à la deuxième plate-forme, s'exclament, rient, prennent des photographies, avec des pellicules en couleurs. Les pauvres... ils ne savent pas, ils ne pourront jamais savoir.
On lit dans les guides que la tour Eiffel mesure trois cents mètres de haut, plus vingt mètres en comptant l'antenne radio. C'est ce que disaient aussi les journaux de l'époque, avant qu'on ne commence les travaux. Et trois cents mètres, ça semblait déjà une folie au public.
Trois cents mètres, tu parles. Moi, je travaillais alors aux ateliers Rungis, près de Neuilly. J'étais un bon ouvrier mécanicien. Un soir, comme je rentrais chez moi, un monsieur en haut-de-forme qui pouvait avoir dans les quarante ans m'arrête dans la rue [...]
Le K (1966)
ÉTRANGE RENCONTRE
Cela se produit assez souvent, dans les lieux de grande foule, aux heures de pointe, dans les moments de plus grande bousculade et agitation. Par exemple à la porte du stade, quand les gens se battent pour entrer. Dans la mêlée, deux mètres devant vous, vous apercevez, de dos, un de vos plus chers amis, passionné de football comme vous. Vous le reconnaissez sans l'ombre d'une incertitude : les cheveux blonds négligés qui débordent un peu sur le col, et cette cicatrice, sur la nuque, d'une vieille piqûre de guêpe, la façon de tenir la tête légèrement penchée à gauche, et le caractéristique chapeau noir à bord relevé sur les côtés comme le portait Toscanini. C'est absolument lui. Pas d'erreur possible, même au milieu d'un milliard de personnes. Vous appelez : " Antonio ! Antonio ! " Mais il ne se retourne pas. Vous appelez plus fort. Rien. Alors vous perdez la tête. Vous excusant, suppliant, vous demandez aux gens devant vous de vous laisser passer. Agacés mais surpris ils vous font place. Vous faites un bond. Vous tendez la main droite pour toucher l'ami sur l'épaule. " Antonio ! Antonio ! " Une ondulation imprévue de la foule. Ils vous repoussent. Et l'ami semble emporté, aspiré par un tourbillon soudain. Il disparaît. Il s'évanouit dans le néant. Devant, alentour, des visages inconnus. Que vous importe, désormais, le match ? Vous vous laissez entraîner en avant avec un battement de cur atroce. Parce que vous êtes mathématiquement sûr que c'était vraiment lui, votre plus cher ami, Antonio. Mais cinq longues années ont passé depuis que votre ami est mort.
Les Nuits difficiles (1971)
Caractéristiques
Caractéristiques
- Format
- Broché
- Auteur(s)
- Dino Buzzati,Patrick Quérillacq
- Date de parution
- 05/10/2006